J’ai trouvé des humains

Spectacle proposé lors de l’inauguration de la Vigne Philosophe (octobre 2001) écrit par Michel Vieujean.

Ecoutons Baudelaire :

« Il faut être toujours ivre, tout est là ; c’est l’unique question. Pour ne pas sentir l’horrible fardeau du temps qui brise vos épaules et vous penche vers la terre, il faut vous enivrer sans trêve.

Mais de quoi? De vin, de poésie, ou de vertu à votre guise, mais enivrez-vous! »

Et si quelquefois, sur les marches d’un palais, sur l’herbe verte d’un fossé, vous vous réveillez, l’ivresse déjà diminuée ou disparue, demandez au vent, à la vague, à l’étoile, à l’oiseau, à l’horloge; à tout ce qui fuit, à tout ce qui gémit, à tout ce qui roule, à tout ce qui chante, à tout ce qui parle, demandez quelle heure il est. Et le vent, la vague, l’étoile, l’oiseau, l’horloge, vous répondront, il est l’heure de s’enivrer ; pour ne pas être les esclaves martyrisés du temps, enivrez-vous, enivrez-vous sans cesse de vin, de poésie, de vertu, à votre guise.

…de vin, de poésie, et pourquoi pas de philosophie et d’amitié ?

Pour donner vie au mythe éternel du vin et de la philosophie, nous aurions pu choisir Horace,l’Epicurien ;Platon et son mythe de la caverne ; Du Bellay qui chante en sonnets la Renaissance ; Rabelais avec Gargantua et son Chinon ; Diderot et les banquets des Philosophes ; peut-être même Alain, et ses Propos sur le Bonheur, mais un autre personnage devait mieux encore incarner ces noces du bonheur d’être .Pour cette évocation, je fais appel au bar…, non ! à la barre de l’histoire, au banc de la mémoire de l’humanité, à celle qui est la comptable des faits passés, des pensées émises, répertoriées ou pas dans les encyclopédies, les traités, les anthologies que les Humains ont tenté de fixer dans l’anarchie, la subjectivité et l’anachronisme. Je fais ici solennellement appel à la Muse des historiens, j’ai nommé CLIO.

 Clio :   -Bonsoir, restez assis, c’est important, ce soir, de réfléchir, de méditer sur les leçons de l’Histoire, de votre petite histoire personnelle , aussi. Ceux qui l’oublient risquent de la voir se répéter avec le retour inlassable des mêmes cortèges d’erreurs et des mêmes épreuves.

Alors, souvenons-nous d’un curieux personnage, d’un philosophe qui avait élu domicile dans un tonneau de vin et de son étrange conversion, prise de conscience ou illumination, vous appellerez cela comme vous voudrez…et dont les livres ne parlent jamais…l’histoire est souvent occultée voire manipulée. Il me plaît de faire revivre sous vos yeux Diogène le Cynique ! Alexandre le Grand, la Belle Hélène et Dionysos, que vous connaissez tous !

     En ces temps-là, nous sommes en l’an de grâce 360 avant notre ère, en Grèce où paressait, méditait, bref vivait l’irascible philosophe qui exaltait une farouche liberté que n’entravaient ni besoins,  ni dépendance…mais, chuuuutt !! le voilà, sur l’agora…

  Diogène, une lanterne à la main, arpente la salle en grommelant :

   -Nom de Zeus, rien !, pas un seul…je cherche un homme, un Humain, avec un cœur, quelqu’un de digne, pas celui-là ! de vrai, bon-sang ,de probe, non pas celle-là, et lui ?ah ! non ! il est trop laid ! de juste aussi, pas celui-là non plus ! aaah, bah ! de bon,   rien, personne,il n’ y a personne ici, ni là d’ailleurs !!

Tableau 1.(Alexandre le Grand)

Diogène rejoint son tonneau s’étire, bâille, grimace et se met à ronfler.

Apparaît, hautain ,fier ,puissant, Alexandre le Grand, en tenue sombre et nœud pap’

-ALEXANDRE : Toute ma considération, Diogène. Avec mes respects.

( Diogène s’ébroue et ignore Alexandre)

-DIOGENE :  Salut, nature généreuse ! Gloire à toi, soleil d’or…

                  A moi, les arbres verts qui me protègent de la chaleur, des pluies…

                 A moi, la beauté des montagnes, l’immensité de la mer, la fraîcheur du vent…

                A moi, les fruits des chemins, l’eau claire des fontaines…

               A moi, mon tonneau, mon abri où je me love dans ma parfaite liberté, loin de la foule puante ! loin des passions et du tumulte. Arrière ! Petits mortels mesquins et misérables…

ALEXANDRE :  Bonjour, Diogène, le Philosophe, je suis… Alexandre le Grand, j’ai traversé mes empires car j’ai entendu parler de toi. Je possède puissance et richesses à l’infini mais on dit que tu connais le bonheur et la sagesse, enseigne-moi ta philosophie et je te donnerai cette bourse pleine d’Euros .

DIOGENE :  Et que ferais- je de ton argent, Legrand ? Alors que la nature me procure tout ce que je désire manger et boire.

ALEXANDRE :  Allons ! Je te donnerai un cabrio  avec chauffeur et tu pourras avoir une place dans un de mes  ministères.

DIOGENE :  Arrière, stupide tentateur, je ne pourrais voir de plus beaux paysages qu’ici.  Quant à tes villes pleines de poubelles et de misères, je les ai en horreur.

ALEXANDRE :  Mais tu vivrais dans des palaces, tu te baignerais dans des piscines, tes serviteurs se courberaient sur ton passage, les femmes te donneraient…

DIOGENE :  Silence !  Puissant de ce monde, je dors mieux dans mon tonneau, aucun serviteur ne me dérange lors de mes méditations et de mes siestes.

L’eau de la rivière si vive est pour moi seul, alors que ta piscine fourmille de sots presque nus.

ALEXANDRE :  Mais enfin, tu aurais château, confort, cartes de crédits et même,… un e-mail .

DIOGENE :  Vil séducteur !  Je ne veux pas de ces modernités que toutes tes richesses m’infligeraient. Les miennes, les voici ( chantonnant) : «il y a  le ciel, le soleil et la mer ».

ALEXANDRE : Mais que puis-je faire pour toi, alors ?

DIOGENE :  ÔTE-TOI DE MON SOLEIL !

Alexandre s’en va perplexe en hochant la tête . Diogène s’installe dans la position du lotus devant son tonneau et joint les mains, en proie à une profonde méditation.

Tableau   2 .  ( La  Belle Hélène)

Hélène s’approche du sage, sportive, souriante en tenue de joueuse de tennis..

HELENE :  Bonjour Dio, je suis heureuse de te rencontrer.

DIOGENE : Groupfffff !

HELENE :  C’est toujours  un plaisir de converser avec toi.

D :  Groupffff !

H :  D’accord et à part ça ?

D :  Tu ne vois pas que je médite, qui es-tu ?

H : Tiens ! ça parle!  Moi, je suis la belle Hélène.

      Tu peux me prêter ton miroir ?

D :  passe ton chemin, ma fille .

H :  On dit que tu as trouvé le grand bonheur, mais moi je sais qu’on ne peut être heureux sans amour, donc sans femme.

D :  Vanité des vanités ! Je ne veux pas d’une femme ici qui toujours aurait mille désirs et qui me houspillerait à chaque instant ; et puis, l’amour n’est qu’illusion trompeuse….

H :  Mais non ! Elle t’entourerait de tendresse, tu aurais de beaux enfants qui, j’espère, ne te ressembleraient pas !

D :  Et que fais-tu de ma liberté ? Pourquoi irais-je bâtir une maison pour y loger une marmaille criante et baveuse alors que mon bonheur vient de ma liberté complète, ici, dans mon tonneau.

H :  Mais,  Dio-chéri, ne me trouves-tu pas belle ? N’aimerais-tu pas que je partage ton tonneau ?

D :  Stupide garce !, oui tu es belle  mais la beauté est un leurre , elle est éphémère  et j’ai besoin de toute la place dans mon tonneau. Ote de ma vue tes yeux si beaux mais sournois, ta bouche tentante qui ne dit que des mensonges, ton sourire pulpeux qui n’exprime que la ruse et la traîtrise. Cours vite avec tes jambes de biche, cours loin de moi sinon tu subiras mon courroux !.(Il se lève, menaçant)

H :  Ah ! ça va, hein ! Laisse tomber,… vieux con !

Tableau  3  ( Dionysos)

 Dionysos s’amène, poussant un tonneau dans une brouette, des verres tintent à sa ceinture, il porte un tablier de brasseur, il rit et chantonne.

Il manque de rouler sur le pied du Cynique , en pleine crise de sieste.

DIOGENE :  Aie ! Aaaaaah ! le con ! Animal, crétin grossier, arrête ton char !

DIO :  Tiens ! Ben Hur ! … Aah non! Mais c’est Diogène, pardon, maître, je ne fais que passer…

DIOGENE :  Et pourquoi brouettes-tu cette petite maison ?

DIO : (lyrique)  c’est un tonneau, maître et rempli de vin, c’est le sang de la treille, c’est le fruit de la terre et du travail des hommes…, c’est le nectar des dieux…

DIOGENE :  Balivernes ! Les dieux ne boivent rien, ils ne sont qu’illusions, projections timorées des larves à deux pattes.

DIO :  Mais, Maître, c’est aussi du plaisir, de l’amitié, la quintessence de l’art de vivre… allez, tenez, goûtez-moi une lampée….

DIOGENE :  Allons bon, et j’ai cassé mon écuelle .  Quel glou glou !  Rubis brillant … et à quoi allons-nous boire, échanson ?

DIO :  A la Vigne Philosophe, pardi

DIOGENE :  Haaaaa !  C’est curieux, je me sens tout chose, comme le cœur un peu plus large, et même la bouche tirée sur les côtés…

DIO :  Cela s’appelle amorcer un sourire, la première fois cela surprend un peu, avec le temps, on s’y fait, vous verrez…essayez encore…lààà !

DIOGENE :  Haaaaa !  mais, il me semble qu’au fond de mon crâne des nuages s’en vont, les tempêtes disparaissent, verse-moi encore un peu de ton élixir…

DIO :  ( il s’exécute) Haaa !, vous voyez ! ( A part) :  c’est une conversion ! Je crois que j’ai fait un adepte !

DIOGENE :  (il s’émerveille en regardant le monde à travers son verre) : le monde en couleurs, couleur bordeaux , avec une note d’épices, une touche de vanille et quelle robe !

Apparaît la Belle Hélène  . 

Je disais quelle robe !  Ce vin a de la cuisse ! Mais n’est-ce pas vous, la Belle que  j’ai rudoyée ce tantôt ?

HELENE :  Si fait , Maître, vous m’avez même chassée avec de dures paroles.

DIOGENE:  Allez, reste un peu, ma fille, devisons, veux-tu goûter à ce vin ?  Sommelier, c’est ma tournée, sers cette princesse … ( il lève son verre , admiratif).   A tes yeux !  Et que disais-tu à propos de mon tonneau tout à l’heure ? ( il pose sa main autour de sa taille).

Viens avec moi. ( il reprend sa lanterne et fait quelques pas vers la salle).

Regarde, c’est plein d’humains, ici ! Enfin ! j’ai trouvé des hommes ,des femmes avec des yeux où brille une petite flamme, avec un cœur dans la main et des sourires offerts.

HELENE :  Oui Diogène, j’en vois, rassemblés, ils sont tous là, ils ont soif !

DIOGENE :  Nous avons trouvé des hommes et des femmes , des frères et des soeurs, mes amis je vous invite à faire comme nous… donnez un baiser à votre verre et vous philosopherez avec bonheur, indulgence, dans l’amitié et l’amour.

HELENE : En plus, la philosophie est aussi une élévation de l’esprit.

DIOGENE :Ne commence pas à dire des bêtises, dansons, veux-tu, écoute, c’est un tango !!       

(Diogène et Hélène s’enlacent, s’embrassent et dansent)

 

 

RIDEAU

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